La communication est indispensable

L’importance de la surveillance

Une série spéciale de billets des conseillers de la NPPV

Par Barbara Collier, Anne Abbott et Hazel Self

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Dans son projet de règlement, minimal, pour surveiller l’aide médicale à mourir (AMM), le gouvernement reconnaît qu’il est important que les praticiens rapportent les procédures de consentement de leurs patients et les mesures connexes. Cependant, si on ne définit pas les pratiques précises qui sont garantes d’une communication fiable et authentique et si on n’exige pas que les praticiens rapportent les mesures précises qu’ils ont adoptées pour assurer une communication efficace, nous sommes peu convaincues que les décisions en matière d’AMM s’appuient comme il se doit sur une communication efficace, en particulier dans le cas des patients dont le handicap affecte la communication. Sans égard aux points de vue personnels et moraux d’une personne au sujet de l’AMM, et dans le but de protéger les patients, les membres de leur famille et les praticiens, nous estimons capital de définir, de fournir, de surveiller et de rapporter quelle est la nature des mesures d’adaptation et de soutien exigées et utilisées pour la communication, qui fournit ces mesures de soutien et comment ces mesures de soutien sont fournies pour assurer l’authenticité, l’exactitude et l’équité de la communication dans des situations d’AMM.

Une communication efficace dans le cadre de l’AMM

Une communication efficace est la base même de toute interaction en soins de santé. On définit une communication efficace comme « l’établissement conjoint de sens ». Dans des contextes à haut risque tels que la communication entourant l’AMM, une « communication efficace » ne signifie pas simplement que le patient « parle » et que le praticien de la santé « écoute », ou à l’inverse, que le praticien « parle » et que le patient « écoute ». Il doit plutôt s’agir d’un échange négocié… un échange qui peut être relaté afin de savoir avec certitude ce qu’un patient sait, ce qu’il pense et ce qu’il souhaite ET ce que le praticien a dit à ce patient au sujet des choix qui sont possibles et accessibles (ou non). C’est tout particulièrement le cas avec les patients qui ont un trouble de la communication.

Certaines personnes doivent composer avec des problèmes de communication parce qu’elles sont sourdes, devenues sourdes, malentendantes ou sourdes et aveugles, et d’autres ont un handicap qui affecte leur capacité à parler, à comprendre ce que les autres disent, à lire ou à écrire. Nombre de handicaps ou de troubles peuvent affecter les capacités d’une personne sur le plan de l’élocution, du langage et de la communication, notamment les lésions cérébrales acquises, la paralysie cérébrale, la déficience intellectuelle, les troubles du spectre de l’autisme, les troubles de l’apprentissage, le syndrome d'alcoolisation fœtale, l’apraxie, l’aphasie, la perte auditive, la sclérose latérale amyotrophique, la trisomie 21, la démence, la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques et d’autres troubles du développement, troubles acquis, troubles dégénératifs et troubles liés à l’âge. Plus d’un demi-million de Canadiens et Canadiennes ont des handicaps ou des troubles qui affectent leur communication. Ces handicaps ou troubles varient de légers à graves et augmentent avec l’âge. Et un trouble de la communication peut avoir un impact significatif sur toutes les facettes de la vie d’une personne.

Les patients qui ont un handicap qui n’affecte pas leur communication rapportent fréquemment avoir de sérieuses difficultés à interagir avec les praticiens de la santé en raison de préjugés, de perceptions vis-à-vis leur qualité de vie réduite, de capacitisme, de discrimination, d’un manque de connaissance et de familiarité à propos de leur handicap et de différences linguistiques et culturelles. En plus de ces obstacles, les patients qui ont un handicap qui a un impact sur leur communication rapportent qu’il arrive souvent aux praticiens de ne pas les consulter au sujet des décisions de santé qui les touchent personnellement. Selon eux, les praticiens ne comprennent peut-être pas comment ils communiquent et limitent leurs communications à des questions qui se répondent par « oui » ou « non ». Il existe de nombreux exemples de praticiens qui sous-estiment ou surestiment la capacité des patients qui ont un trouble de la communication à donner leur consentement. Par ailleurs, la majorité des praticiens ont peu ou pas de formation sur les mesures d’adaptation et de soutien en matière de communication. Ils s’en remettent souvent aux membres de la famille pour la prise de décision ou, dans certains cas, au personnel soignant, qui n’a pas de procuration pour prendre une telle décision et se trouve parfois en situation de conflit d’intérêts.

Si une personne a des problèmes de communication et a besoin, pour quelque raison que ce soit, de renseignements sur les directives en fin de vie, et plus précisément sur l’AMM, elle doit avoir accès aux mesures d’adaptation et de soutien appropriées en matière de communication pour garantir que ses questions, opinions et désirs soient compris de manière sûre, qu’ils soient authentiques et qu’ils soient validés. Sans mesures d’adaptation et de soutien appropriées en matière de communication, les personnes qui ont un handicap qui affecte leur communication ne peuvent pas donner un consentement éclairé.

Par ailleurs, nous sommes conscientes que les personnes qui ont des handicaps dégénératifs indiquent souvent que leur « repère » pour l’AMM est le moment où elles perdent leur capacité naturelle de parler. Ces personnes ne sont toutefois peut-être pas suffisamment renseignées sur les technologies ou services d’aide à la communication possibles pour surmonter ces problèmes. Ou encore elles n’ont peut-être pas accès à ces services et appareils.

Nous croyons qu’il y a un urgent besoin de documenter un grand nombre de problèmes de communication tout en protégeant la vie privée des individus, de sorte que les patients dont la communication est compromise disposent de tous les renseignements et de toutes les mesures d’adaptation et de soutien nécessaires pour prendre une décision au sujet de l’AMM et communiquer cette décision.

Accès à la communication et consentement éclairé

Le consentement éclairé est un processus de communication où la personne doit comprendre les renseignements qui lui sont fournis, retenir ces renseignements, prendre en considération les conséquences de ces renseignements et communiquer sa décision de manière fiable.

Un trouble de l’élocution, du langage ou de la communication n’entrave pas toujours la capacité d’une personne à communiquer efficacement et à donner un consentement éclairé. Pour qu’elle y parvienne, la personne doit bénéficier de mesures d’adaptation et de soutien en matière de communication qui sont appropriées pour ses besoins individuels. Si un patient ne dispose pas d’un moyen de communication efficace, il faut retenir les services d’un orthophoniste qui procédera à une évaluation de la communication pour déterminer, selon les besoins du patient, quelles sont les méthodes et les mesures d’adaptation et de soutien les plus appropriées pour la communication.

Les mesures d’adaptation et les aides à la communication incluent un ensemble d’outils qui augmentent la capacité d’une personne à comprendre et à communiquer efficacement, par exemple des prothèses auditives, des lunettes, des cartes avec des images/des photos/du texte, des tableaux de pictogrammes ou alphabétiques, et des appareils de communication. Si certaines mesures d’adaptation pour la communication sont personnalisées, d’autres sont génériques et adaptées à une situation donnée, tels les soins intensifs. Les auteures ne connaissent pas de vocabulaire de communication ou d’images génériques facilitant la communication entourant l’AMM.

Les mesures de soutien à la communication font référence à l’aide humaine dont un patient peut avoir besoin pour comprendre ou pour communiquer son intention de manière fiable à un praticien. Ces mesures sont souvent fournies de manière informelle par une personne qui connaît le patient et sa manière de communiquer, par exemple un membre de la famille, un ami ou un aidant. Dans d’autres situations, par exemple si aucune de ces personnes ne peut faciliter la communication ou si des questions sont soulevées quant à la présence d’un conflit d’intérêts ou quant à la fiabilité du soutien à la communication fourni, un orthophoniste doit être mandaté, que ce soit pour valider l’aide à la communication fournie par le proche ou pour fournir directement du soutien de manière indépendante. Les auteures ne connaissent pas de lignes directrices qui auraient été élaborées pour définir le rôle d’un praticien travaillant avec un assistant en communication informel ou un orthophoniste dans le contexte de l’AMM.  

Quelles pratiques de surveillance de la communication l’AMM exige-t-elle?

Dans son billet La manière d’écouter : surveillance 101 publié le 22 février 2018 sur le blogue, Catherine Frazee propose quatre critères d’écoute responsable dans le cadre de l’AMM : (1) Demander aux bonnes personnes, (2) Poser les bonnes questions, (3) Prendre le temps qu’il faut et (4) Être prêt à intervenir. Nous sommes d’accord avec ces recommandations et nous aimerions suggérer d’autres exigences pour assurer un meilleur soutien et une meilleure protection des personnes qui ont un trouble de la communication.

Plus précisément, nous voulons qu’il y ait des procédures et de la surveillance entourant les aptitudes à communiquer des personnes, et nous souhaitons avoir l’assurance que les bonnes mesures d’adaptation et de soutien en matière de communication sont fournies lorsque nécessaires. 

À titre d’exemple, nous aimerions que les points suivants soient documentés :

  • La personne a-t-elle un trouble de la communication qui affecte sa capacité à donner un consentement éclairé, y compris comprendre le langage parlé, retenir et considérer les conséquences, et communiquer une décision? Si oui :
    • La personne dispose-t-elle de moyens établis et fiables de communiquer au sujet de l’AMM (parole, écriture, images, épellation ou appareil de communication)? Si non, un orthophoniste a-t-il été mandaté pour procéder à une évaluation afin de trouver et de fournir des méthodes et des mesures d’adaptation appropriées pour la communication? 
    • Quelles méthodes et mesures d’adaptation pour la communication le patient a-t-il utilisées pour comprendre les renseignements, les retenir et communiquer ses questions, ses opinions et ses décisions au sujet de l’AMM?
    • De quelle aide à la communication la personne a-t-elle eu besoin et quelle aide a-t-elle utilisée? Le patient a-t-il autorisé la personne qui l’aidait avec la communication? Y avait-il quelque raison que ce soit de soupçonner un conflit d’intérêts avec la personne qui facilitait la communication?
    • Est-ce que le praticien a interagi directement avec le patient et est-ce que l’aide à la communication a été fournie en tout temps et observée par le praticien?
    • Le praticien peut-il affirmer que l’aide à la communication a été fournie tel que demandé et confirmé par le patient; que les messages n’ont pas été émis sous la contrainte de quelque façon que ce soit; qu’aucune question tendancieuse n’a été utilisée; qu’aucune hypothèse n’a été suggérée; et que l’assistant n’a ni contrôlé ni influencé la communication du patient
    • Dans les situations où le praticien a mis en question la fiabilité de la communication de la personne ou son aide à la communication, un orthophoniste indépendant a-t-il été mandaté pour apporter du soutien?

Pour ce qui est des patients qui ont une maladie dégénérative qui pourrait affecter leur communication dans un avenir proche et qui songent peut-être à demander l’AMM lorsqu’ils seront rendus à un stade où ils ne seront plus capables de parler, nous voulons être certaines qu’ils ont été informés des technologies d’aide à la communication et des options dont ils pourraient se prévaloir pour conserver leurs relations et garder un contrôle sur leur vie.

Protocole de communication

Nous proposons le protocole suivant pour veiller à ce que les personnes qui ont un handicap affectant leur communication soient protégées lors de toute discussion d’AMM :

Si le médecin ou le patient soulève quelque question que ce soit au sujet du processus de communication entourant l’AMM, un orthophoniste professionnel neutre et indépendant doit être mandaté pour déterminer si des mesures d’adaptation sont nécessaires pour la communication, pour valider l’aide à la communication fournie par une personne qui connaît bien les méthodes de communication du patient ou pour fournir un soutien direct à la communication. Des mesures d’adaptation et de soutien en matière de communication sont nécessaires si le patient a de la difficulté à comprendre les renseignements qui lui sont fournis, à les retenir, à soupeser les conséquences des options dans le cadre du processus décisionnel et à communiquer sa décision avec exactitude et authenticité.

Conclusion

« Tous les jours, des travailleurs de la santé sont aux prises avec des dilemmes complexes lorsqu’ils traitent avec des patients vulnérables sur le plan de la communication. La plupart du temps, ils trouvent des moyens de naviguer à travers les nombreux types d’obstacles à la communication auxquels ils sont confrontés et ils développent ensuite des solutions sensées pour les problèmes en présence. Mais dans le cas contraire, les choses peuvent mal tourner, ce qui arrive parfois. » (The Joint Commission, 2013). 

Nous croyons que pour les patients qui ont un trouble de la communication, l’AMM présente un énorme défi et entraîne les conséquences les plus profondes. Un cas qui a récemment été observé dans une unité de soins intensifs illustre très bien les enjeux. À la suite d’une grave blessure à la moelle épinière cervicale, un homme âgé est devenu quadriplégique et dépendant du respirateur. Le ton est monté entre ses deux filles quant à savoir si leur père souhaiterait être maintenu en vie artificiellement. L’infirmière a remarqué que le patient suivait la dispute et semblait en détresse. Par conséquent, un orthophoniste a été consulté et le patient a eu la possibilité de démontrer qu’il comprenait sa condition et était en mesure de participer aux décisions médicales le concernant. Il a indiqué qu’il ne voulait pas être maintenu en vie artificiellement, mais qu’il voulait pouvoir communiquer avec sa famille pendant quelques jours pour mettre de l’ordre dans ses choses et faire ses adieux. Non seulement a-t-il pu être autonome dans ses décisions médicales, mais il a aussi épargné à ses filles les récriminations qu’elles se seraient adressées si elles avaient continué à se disputer au sujet de la décision de maintenir leur père en vie artificiellement.

Nous recommandons au gouvernement d’aborder ces enjeux cruciaux de communication en mettant de l’avant des politiques, des lignes directrices et des procédures de surveillance robustes et détaillées sur l’accès à la communication.

Barbara Collier est orthophoniste, Fellow de la Société internationale pour la communication augmentative et améliorée et directrice générale d’Accès Troubles de la Communication Canada (ATCC). Anne Abbott est une artiste et une militante pour les personnes handicapées, et elle utilise un tableau alphabétique pour communiquer. Elle est membre du conseil d’administration de l’ATCC. Hazel Self est présidente du conseil d’administration de l’ATCC. Elle est quadriplégique et utilise des services auxiliaires

Accès Troubles de la Communication Canada (ATCC) est un organisme national de personnes handicapées sans but lucratif qui milite pour la justice sociale et l’accessibilité pour les personnes qui ont divers types de handicaps susceptibles d’affecter leur capacité à comprendre le langage parlé ou à exprimer ce qu’elles souhaitent communiquer. L’ATCC est l’un des nombreux organismes canadiens de premier plan qui appuient la Norme sur la protection des personnes vulnérables.