Le projet de règlement pour surveiller l’aide médicale à mourir : des exigences bureaucratiques minimes, mais de nombreux signaux d’alarme

L’importance de la surveillance

Une série spéciale de billets des conseillers de la NPPV

Par Michael J. Prince, conseiller de la NPPV

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En tant qu’universitaire spécialisé dans la politique sociale du Canada, dans l’étude de la condition des personnes handicapées et dans l’administration publique, la législation et le projet de règlement visant la surveillance de l’aide médicale à mourir m’intéressent et me préoccupent grandement. Au cours de ma carrière, j’ai étudié et écrit sur divers sujets touchant la réglementation, la gouvernance réglementaire et la politique démocratique, que ce soit la procréation assistée ou la biotechnologie, en passant par la morale et l’ordre public. Rares sont les sujets qui ont autant attiré mon attention que cette loi et ce projet de règlement sur l’aide médicale à mourir.

Lorsqu’il est question de lois et de règlements, nous entendons et lisons souvent l’expression bureaucratie (NdT : en anglais, red tape « ruban rouge »). Historiquement, le « ruban rouge » faisait référence à la couleur du ruban utilisé pour relier des documents et des dossiers de textes législatifs. Cela pouvait simplement vouloir dire que les lois et les règlements relèvent tous de la bureaucratie. À notre époque, l’expression bureaucratie est une forme de discours politique qui fait référence à la manière dont les gens qualifient les règles et les mesures de contrôle excessives, que ce soit dans un texte législatif ou encore dans les règlements, les procédures et la paperasse qui y sont associés. Elle évoque les concepts de coûts déraisonnables ou indus qu’il faut assumer pour se conformer à un ensemble de normes publiques et d’obligations. 

Dans le cas de la surveillance de l’aide médicale à mourir, un des problèmes fondamentaux du projet de règlement publié en décembre 2017 n’est pas d’imposer un ensemble de règles, de normes et de mécanismes de conformité excessivement lourds.

En fait, c’est tout le contraire.

Le cadre réglementaire est incomplet et inadéquat pour la prise en charge des risques significatifs qui seront vraisemblablement présents. L’enjeu qui se pose ici n’est certainement pas l’excès de bureaucratie. Effectivement, en ce qui a trait à certaines problématiques critiques et à certains objectifs de la politique, le projet de règlement ne contient pas suffisamment de mesures de sauvegarde pour assurer la surveillance et la prestation de l’aide médicale à mourir partout au Canada.

Sur la question de la surveillance, le projet de règlement doit assurément contenir plus de signaux d’alarme. Il est impératif que les menaces, les préjudices et les risques associés à ce nouveau régime réglementaire soient signalés et portés à l’attention des décideurs du gouvernement fédéral et des provinces ainsi qu’aux praticiens du domaine des soins de santé et des services sociaux, de telle sorte qu’ils puissent prendre les mesures qui s’imposent.

Dans le préambule du texte législatif, on relève trois formes de risques que courent les individus et les groupes de personnes dans la société canadienne. Premièrement, le risque d’erreurs et les abus lors de la prestation de l’aide médicale à mourir ; deuxièmement, le risque d’encourager les perceptions négatives au sujet de la qualité de vie des personnes âgées, malades ou handicapées ; et troisièmement, le risque que des personnes vulnérables soient incitées à mettre fin à leur vie dans un moment de détresse.

L’accès à l’aide médicale à mourir pose trois autres risques qui font encore l’objet d’un examen parlementaire : la possibilité future de légiférer sur les demandes faites par des mineurs matures, les demandes anticipées et les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale évoquée.

Le fait de repérer ces risques et d’autres risques revient à lancer des signaux d’alarme ou des avertissements qui exigent une attention particulière du public et qui soulignent le besoin de se doter de nouveaux types de protection.

Les garanties du gouvernement – faciliter l’accès aux soins palliatifs et aux soins de fin de vie, aux soins et aux services offerts aux personnes atteintes d’Alzheimer et de démence, et à des services de soutien et autres en santé mentale – ne reconnaissent pas directement et ne répondent pas adéquatement aux risques et aux menaces qui pèsent sur les jeunes et les adultes ayant une incapacité sévère. 

L’étendue des menaces et des dangers auxquels les personnes handicapées sont confrontées est multidimensionnelle. Notons les risques juridiques et les risques relevant des droits de la personne, mais aussi les questions d’attitudes populaires et de désavantages matériels, de même que les risques immédiats et les dangers constants à plus long terme, sans oublier les risques pour les individus et pour des groupes en particulier au sein de la population.

Pour déterminer l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, les responsables des politiques et les praticiens de la santé ont comme responsabilité fondamentale de comprendre la situation et toutes les conditions de vie et la situation du patient.

En nous appuyant sur l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2012, examinons les conditions de vie du million d’adultes en âge de travailler (15 à 64 ans) qui ont une incapacité plus sévère. Ces personnes ont tendance à avoir plusieurs troubles et difficultés, dont la mobilité, des difficultés associées à la douleur, des troubles de mémoire ou d’apprentissage ainsi que des troubles du développement.

D’un bout à l’autre du pays, les adultes en âge de travailler qui ont une incapacité plus sévère habitent dans des ménages dont le revenu est significativement considérablement plus faible que celui des personnes sans incapacité. La plupart d’entre eux composeront avec une situation financière difficile à long terme.  

En ce qui concerne la situation du ménage, les adultes ayant une incapacité plus sévère sont plus nombreux à vivre seuls que ceux ayant une incapacité plus modérée ou aucune incapacité. Les femmes ayant une incapacité sont quant à elles plus susceptibles de vivre seules que les hommes ayant une incapacité. Les personnes ayant une incapacité plus sévère ont plus tendance que les personnes sans incapacité à habiter dans des logements plus vieux ou des logements qui nécessitent des réparations majeures, à être locataires ou encore à habiter un logement subventionné. Il s’agit là de la dure réalité matérielle, et non pas seulement de perceptions négatives à l’égard de la qualité de vie des personnes ayant une incapacité.   

De surcroît, les besoins de soutien à domicile des personnes ayant une incapacité plus sévère sont plus susceptibles de ne pas être satisfaits. Ces besoins non comblés comprennent la nécessité d’avoir des soins médicaux de base, des soins personnels et de l’aide avec leurs finances personnelles. Vivre seul se traduit aussi par l’absence d’aidant ou de soignant résidant. La pauvreté limite également la capacité d’accéder à de l’aide rémunérée auprès d’organismeations qui offrent des soins. Environ 500 000 adultes ayant une incapacité plus sévère risquent par ailleurs de devoir se passer des soutiens aides et des médicaments d’ordonnance dont ils ont besoin en raison du coût de leurs médicaments.

Les Canadiens et Canadiennes  ayant une incapacité plus sévère risquent davantage d’avoir un faible revenu, de vivre dans la pauvreté, de ne pas recevoir le soutien dont ils ont besoin à domicile pour accomplir leurs activités quotidiennes et de souffrir de solitude et d’isolement social, de précarité du logement et de manque d’accès au logement. Il ne s’agit pas simplement de « circonstances diverses » qui caractérisent les conditions de vie de certains Canadiens et Canadiennes. En fait, tel que les données disponibles l’indiquent clairement, ces circonstances graves et précaires sont le lot des personnes ayant une incapacité et sont ancrées dans les causes socioéconomiques de la vulnérabilité, de la fragilité et de la souffrance.  

La surveillance est importante parce que ces signaux d’alarme systémiques soulignent les menaces et les dangers profonds pour la vie des personnes ayant une incapacité sévère.

Afin que l’aide médicale à mourir soit surveillée de manière responsable, il faut modifier le projet de loi de manière à s’assurer que les renseignements sur les souffrances de la personne fassent état des réalités socioéconomiques associées aux désavantages et à la discrimination que subissent tant de Canadiens et Canadiennes ayant une incapacité.

Michael J. Prince est un politicologue, un défenseur des droits des personnes handicapées et un expert en politique publique. Il est titulaire de la Chaire Lansdowne en politique sociale à l’Université de Victoria.